Interview Anthar YahiaInterview Anthar Yahia

Nouvellement nommé entraîneur de la N3 pour cette nouvelle saison, Anthar Yahia revient sur son parcours de joueur, ses expériences d’après-carrière et les valeurs qu’il souhaite inculquer à son groupe dans son nouveau rôle.

Bonjour Anthar. La saison dernière, tu étais entraîneur adjoint des U17 aux côtés de Yoann Andreu. Cette année tu diriges l’équipe réserve. Qu’est-ce que la saison dernière t’a apporté et comment abordes-tu cette nouvelle saison en N3 ?

La saison dernière était une année vraiment très chargée entre le DES et la finalisation de mon master professionnel au Portugal. Ce qui m’a facilité les choses un peu, c’est aussi la relation avec Yoann (Andreu), le fait qu’il m’a vraiment fait la place à côté de lui pour pouvoir me ré-imprégner du club, que je connaissais d’il y a quelques années en tant que joueur. Il m’a fait la place et accompagné dans ce processus et ça m’a vraiment aidé.

La saison s’est très bien passée. J’ai pu aussi assimiler la méthodologie que Yoann veut mettre en place sur le Centre de Formation. C’était une saison très enrichissante avec la perspective d’avoir, peut-être, une équipe au Centre. Aujourd’hui, en N3, ce qui change c’est l’âge des joueurs. On a des profils relativement jeunes au Centre de Formation. On est vraiment dans un processus de développement de joueurs plus que d’agir sur l’équipe. Ça me convient très bien. Je me sens impliqué de la part de Yoann en tant que directeur du Centre dans la construction. Et puis, on a aussi la liberté de mettre notre personnalité au quotidien dedans. Donc c’est top, c’est un régal au quotidien.

Depuis quelques années, le groupe N3 a été rajeuni. Quel regard portes-tu sur le groupe de cette saison ?

C’est un groupe qui est rajeuni. J’ai régulièrement environ cinq U19 qui sont titulaires. Ça va avec la politique du club. On dit aujourd’hui que les générations sont pressées mais c’était aussi le cas avant. Tous les jeunes voulaient jouer tout de suite en pro. Donc si on est dans des temps de passage et qu’on veut toucher les pros, il faut aussi toucher la réserve. Pas de façon précoce mais quand les qualités se démontrent, l’âge n’est pas important. Aujourd’hui, l’âge moyen de la réserve ne me pose aucun problème. Au contraire, je suis très heureux de travailler avec le groupe qu’on a, qu’on a construit ensemble avec l’envie de le faire progresser au quotidien.

Et ton regard sur ce championnat de N3 ?

C’est un championnat que je regardais souvent parce qu’on a l’habitude de regarder nos matchs, que ce soit les U17, les U19 ou la N3. C’est un championnat très athlétique où nos joueurs passent du football adolescence, post-adolescence vers le football d’adultes, qui est un football athlétique où les qualités qui sont attendues au haut niveau sont des qualités d’intelligence et de technique irréprochable. Il faut voir les choses avant, il faut se placer mieux. Donc, quand on touche la réserve à 16, 17, 18 ans, face à des hommes avec ces profils athlétiques, on est obligé déjà d’assimiler ces qualités du haut niveau. 

C’est un processus très formateur dans la difficulté, parce qu’il y aura des moments difficiles, mais ça forge le caractère et on est dans la réalité de ce qu’on vit aussi en Ligue 1, c’est-à-dire un championnat très difficile où on défend, où on doit être solidaire et ça va aussi avec les valeurs du Club.

Tu as connu une très belle carrière de joueur en club comme en sélection avec 329 matchs pros. Quels souvenirs marquants retiens-tu ?

Les souvenirs marquants, c’est mon premier contrat professionnel. Durant ma période au centre de formation à Sochaux, j’ai eu la chance vraiment d’être dans un très très bon centre de formation et ce que vivent les jeunes me parle. 

Donc c’est quatre années au centre du FC Sochaux avec des super souvenirs. Et puis mon premier contrat pro à l’Inter de Milan avec des champions du monde, des champions d’Europe où j’arrivais en tant que gamin dans ce vestiaire et découvrir le haut niveau par cette porte-là était vraiment une expérience exceptionnelle.

Par la suite, j’ai eu l’opportunité de continuer ma carrière. Je pense à deux périodes, on va dire celle à Böchum en Bundesliga où je suis resté pratiquement cinq ans dans le même club où j’ai encore des liens très étroits avec le club et puis ma période en sélection pendant dix ans pratiquement. Ma période en sélection a été un amour qui est né depuis mon jeune âge et qui ne finira jamais parce que la sélection, c’est un amour éternel.

Est-ce qu’il y a des clubs ou des championnats qui t’ont particulièrement marqué ?

La Bundesliga. Parce que c’est un championnat où il y a une grande intensité, beaucoup de rythmes, beaucoup de tempos. Les stades sont pleins. Il y a de l’engouement, du professionnalisme. Ma période en Allemagne m’a marqué en tant que joueur et puis elle m’a marqué en tant qu’homme aussi dans ma perception du football.

Anthar Yahia sous le maillot du VFL Böchum, en Bundesliga, lors de la saison 2009-2010.

Revenons sur ton but légendaire avec l’équipe nationale d’Algérie face à l’Egypte en 2009 qui qualifie l’Algérie pour la Coupe du Monde. Qu’as-tu ressenti ?

Cela faisait 24 ans qu’on ne se qualifiait pas. Le petit clin d’œil de l’histoire c’est que pas mal de joueurs de cette équipe qui qualifie l’Algérie à la Coupe du Monde sont nés en 82 (juste avant la dernière qualification à ce moment en 1986). Pour notre génération, ça a été dur par moments et puis on n’a rien lâché. On a fait partie du renouveau. On est allé en sélection quand pas grand monde aussi n’y allait parmi ceux qui jouaient en Europe. On y a cru. On avait tissé des liens vraiment fraternels entre nous. Et puis on arrive à nous qualifier pour la Coupe du Monde face au triple champion d’Afrique en titre. Ça reste un souvenir incroyable.

Et c’est toi qui marque le but…

Oui, ça tombe sur moi, je vais dire ça comme ça. Par rapport à mon histoire, par rapport à l’histoire de ma famille, etc. Il y a plein de choses qui reviennent en tête. Le clin d’œil de l’histoire, il est magnifique. Parce que ma carrière en tant que joueur, c’était une carrière d’un garçon qui travaille, qui croit en lui. C’est une chose qu’on dit à nos joueurs aussi. Je n’étais peut-être pas le plus doué au départ au centre de formation, mais avec le travail le plus régulier possible. Et à la fin, on arrive à avoir des moments comme ça.

Il faut croire en soi, croire en ses rêves et se donner les moyens. Au-delà de ce que j’ai pu vivre c’est que, maintenant, mon introspection me dit « comment on fait pour le transmettre, sans raconter d’histoire, mais avec la bonne pédagogie ».

Après ta carrière, qu’est-ce qui t’a motivé à rester dans le monde du football ?

J’ai toujours souhaité anticiper sur l’avenir et me demander ce que j’allais faire après ma carrière. J’ai commencé la réflexion quand je suis revenu en France à Angers SCO à l’époque par l’intermédiaire du propriétaire, M. Chabane. Ça a coïncidé avec l’approche de la fin de carrière.

J’étais dans un club aussi avec des ambitions sportives où j’avais l’opportunité de commencer à préparer ma reconversion, parce qu’on est plus vers la fin que le début de ma carrière. Sur un bilan de compétences à l’UNFP, on m’avait prédit plutôt d’aller me diriger vers le management sportif. J’avais entamé un premier diplôme universitaire de gestion des organisations sportives quand j’étais joueur ici, puis un deuxième diplôme universitaire de manager général des clubs sportifs professionnels à Limoges. Et de fil en aiguille, j’y ai cru, qu’on pouvait aussi passer du terrain à être dans un autre rôle. Mais le terrain m’a rattrapé. J’avais un manque incroyable. Et le déclic est arrivé au Spartak Moscou, où j’étais directeur technique de l’académie où j’avais un rôle plus important sur le terrain. Et je me suis dis que c’était ce que je voulais retrouver, ce partage, ces émotions-là. Et du coup, j’ai enclenché le processus complémentaire.

Tu as occupé différents postes : directeur sportif et manager général. Qu’est-ce que ces expériences t’ont apporté ?

Chaque expérience m’a permis de tirer des leçons sur comment je l’ai vécu, comment je pourrais mieux faire, qu’est-ce que j’ai bien fait, à chaque fois, avec une remise en question.

Le rôle à la direction sportive m’a permis de comprendre le fonctionnement d’un club, les attentes des entraîneurs, des staffs que je comprends mieux maintenant. Les attentes de l’environnement, ce que ça représente. Quand on est entraîneur, des fois, on peut penser que le club tourne autour de notre équipe. Alors que le fonctionnement d’un club est beaucoup plus large. Ça m’a permis d’appréhender l’environnement, se complexité, que ce soit économique, sportif, médiatique, les relations politiques… pour derrière savoir comment tout se passe, mais dans différents pays, avec différentes cultures.

C’était vraiment très enrichissant. Ce que je retiens aussi, surtout, c’est cette capacité d’adaptation, cette capacité aussi, par moments, de prendre de la hauteur, de prendre le temps de la réflexion, à froid… Ce que, par moments, on peut ne pas avoir quand on arrête sa carrière tout de suite. Quand on arrête sa carrière, on est encore un peu joueur dans la tête, on digère aussi et on se construit.

Et c’est comme ça que j’ai tenté de me construire, avec une attache toujours particulière pour Angers. Parce que j’ai fini ma carrière ici, entre Angers et Orléans. Et c’est là que mon dernier garçon est né. C’est là que je suis venu, où on avait des grosses attentes sur moi. Dans tous les clubs où je suis passé, j’ai joué de façon régulière et avec des rôles relativement importants. Et ce rôle-là me tenait à cœur à Angers, tenait à cœur au coach Stéphane Moulin et au président M. Chabane. Et malheureusement, je me blesse et c’est la seule fois de ma vie où je ne peux pas montrer sur le terrain ce que je peux faire. C’est resté quand même une frustration.

Aujourd’hui, avoir l’opportunité de véhiculer les valeurs du club aux joueurs, de le faire de façon différente, c’est un bon clin d’œil de l’histoire pour moi.

Anthar Yahia lors d’un match amical entre Angers SCO et le Stade Lavallois (2015-2016).

C’est ton plus grand regret de ne pas avoir pu jouer ici ?

Oui, parce que dans les clubs où j’ai joué, il y a toujours ces souvenirs avec les gens, avec les supporters, même à l’Espérance de Tunis, où j’ai joué un an et une trentaine de matchs. Que ce soit en Allemagne, à Kaiserslautern, à Böchum, en Italie, à l’Inter Milan, où même encore aujourd’hui avec le directeur sportif j’ai des relations. J’ai pu faire des bouts de match à l’Inter. donc, on m’a vu un peu. Ici, à Angers, à part en réserve, on ne m’a pas vu. On m’a vu faire une dizaine de matchs avec la réserve mais c’est comme ça, c’est l’histoire. Aujourd’hui, je suis dans un autre rôle et j’essaie de donner le meilleur de moi-même au quotidien dans un rôle différent.

Tu en parlais un petit peu tout à l’heure, tu disais que le terrain te manquait. Pourquoi la formation maintenant ?

Je pense que, déjà, il faut penser à se former soi-même. Pour moi, le processus de formation, il ne se finit pas. J’ai entamé un cursus de formation, à travers le BEF (Brevet d’Entraîneur de Football) et puis je voulais savoir ce qui se faisait à l’international avec cette fameuse méthode portugaise dont tout le monde parle. Donc je suis allé passer mon master à Porto, dans une langue différente pour m’enrichir aussi, avec des entraîneurs venus de différents horizons. Et puis le DES aussi. J’ai besoin de me former, j’ai besoin d’apprendre, de côtoyer des gens pour continuer à progresser. La formation est un passage qui, pour moi est formateur et qui, je pense, peut aussi être profitable aux joueurs que je côtoie au quotidien, à travers l’échange qu’on peut avoir et la co-construction de choses ensemble.

Quelle valeur ou principe souhaites-tu transmettre aux jeunes d’Angers SCO ?

Travail, ambition, humilité. Ce sont trois mots qui, pour moi, sont vraiment le socle de ce que j’essaye de transmettre au quotidien et qui sont totalement en lien avec les valeurs du Club. Il faut croire en soi et en même temps avoir l’humilité de se remettre en question. Et puis, avec le travail, on renverse des montagnes.

Est-ce que tu as un modèle ou une philosophie d’entraîneur qui t’inspire dans ta pratique quotidienne ?

Mon modèle, c’est mon père, qui était soudeur et travaillait en usine. Il a été ceinture noire de judo aussi.  J’ai cette fierté d’avoir été son fils, d’avoir vu son parcours, d’avoir toujours travaillé et de m’avoir toujours dit que le travail paye. Peu importe où tu es, le travail paye. C’est ce que je véhicule à mes enfants. C’est ce que je véhicule à nos joueurs.

Aussi, quand on regarde les autres entraîneurs, on s’inspire aussi de ce qu’ils font. J’aime beaucoup le football prôné par Jürgen Klopp. C’est vraiment l’entraîneur qui, pour avoir joué contre lui, quand on était à Bochum et Dortmund, est inspirant pour moi.

Selon toi, en quoi le football a-t-il évolué depuis tes débuts sur et en dehors du terrain ?

Sur le terrain, c’est l’intensité. Quand on est encore au bord du terrain ou en tribune, des fois, on ne peut pas s’en rendre compte parce qu’on a une perspective différente. Mais quand on est à même la pelouse et qu’on regarde l’intensité, même dans les catégories jeunes, quand je vois des matchs de 13-14 ans ou de 12-13 ans, je me dis que l’intensité est incroyable. Aujourd’hui, le footballeur est devenu un athlète à part entière. Ce n’est plus comme avant, où on pouvait se permettre d’avoir quelques kilos en trop. Aujourd’hui, ce n’est plus possible.

Et puis, dehors, la façon de construire la carrière et comment on la fait durer dans le temps. Parce que jouer deux matchs en pro, c’est possible aujourd’hui pour beaucoup de joueurs. Mais la faire durer dix, quinze, seize, dix-sept ans en Ligue 1, c’est autre chose. Il y a une appréhension qui doit se faire dans la construction du joueur qui est intéressante à la formation.

Et qu’est-ce qui permet d’évoluer aussi longtemps en Ligue 1 ?

Déjà, d’être cadré là-dedans. On dit aux jeunes que l’école est importante. Il faut se dire qu’aujourd’hui, avoir un cursus scolaire qui te permet d’être organisé, de hiérarchiser tes priorités, savoir t’exprimer avec les gens… Quand tu commences à appréhender les choses, gérer ton budget, être poli, être éduqué, tu vas aussi savoir construire ta carrière.

Si tu n’es pas organisé dès douze, treize, quatorze, quinze ans, tu arrives dans ce milieu-là qui est une lessiveuse, tu te laisses entraîner. Si tu n’as pas l’environnement, le socle familial, la capacité à travailler de façon régulière dans le temps et d’avoir une analyse objective de ce que tu fais, c’est difficile. Arsène Weger dit que le champion a une analyse objective de sa performance. Comme il a une analyse objective, il se remet en question avec la bonne dose de confiance et il avance et veut toujours être meilleur. C’est ça.

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